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La Houssière
Chastre - 1996Maison unifamiliale
Mission : Architecture
Maître d'ouvrage : La Houssière
Architecte : Christian Sauvage
Un ruisseau
La Houssière est le nom d’un ruisseau du Brabant wallon. C’est aussi celui de la propriété, située à Chastre, de l’architecte et urbaniste Christian Sauvage.
Le lit de La Houssière, qui s’alimente des sources du cœur même du parc de deux hectares, fait songer au Rimbaud du dormeur du val : « C’est un trou de verdure où chante une rivière… » Mais la « montagne fière » dont parle le poète, celle dont la lumière accroche « follement aux herbes des haillons d’argent », se résume ici à une tendre et vaste prairie. Bordé sur deux de ses côtés par un mur du dix-septième siècle qui sépare le domaine de La Houssière du monastère des pères blancs qui le jouxte, cet ample espace dégagé évoque, lui, les paysages rustiques des Très Riches Heures du duc de Berry.
Marais à l’Orient, herbage à l’Occident : tel est donc le domaine de La Houssière où, au nord, s’enchâsse dans l’humus, en s’excusant presque d’être là, la maison du même nom dessinée par le maître des lieux…
La paix retrouvée dans un coin où la vie des hommes s’accorde à une nature généreuse : la philosophie qui préside ici à l’organisation de l’espace s’impose au premier regard. Mais au départ de l’aventure, elle n’avait rien d’évident. Trouvé par hasard il y a plusieurs années déjà, le terrain, acheté sur un coup de cœur par Christian Sauvage, était à l’abandon depuis si longtemps qu’y pénétrer fût déjà une entreprise pénible et intrépide. Sa partie marécageuse, surtout, était d’un accès malaisé. Que faire d’une telle brousse ? Christian s’est néanmoins attaché à l’explorer dans ses moindres replis et à en inventorier les multiples essences afin d’en domestiquer peu à peu la flore dans le respect du biotope existant. La maison n’a finalement été conçue et implantée que bien plus tard, lorsque le cadre de verdure suffisamment travaillé pouvait prescrire à l’architecte les contraintes visuelles stables dont il avait besoin pour tracer ses plans en complémentarité avec la nature environnante…
Loin de ses exubérances originelles, le marais, scandé de vieux arbres, se présente aujourd’hui comme une alternance ombrée de rus, de tapis de joncs et de pelouses. Dans ce bois, où l’on s’enfonce dans l’herbage gorgé d’eau, poussent chênes et aulnes, acacias et saules. La Houssière, encore divisée, y coule tranquille, cherchant, entre ses berges incertaines, sa voie hésitante vers la Dyle. C’est sur ses bords, que le flâneur pense à Rimbaud. Au célèbre « lit vert » où, « les pieds dans les glaïeuls », repose son dormeur du val ; au « frais cresson bleu » où baigne sa nuque… Qu’on semble loin, là, de la deuxième zone de la propriété, la prairie, qui tranche, ferme, sur ces taillis spongieux propices à la rêverie ! Flanqué d’une allée de grands peupliers où s’ouvre un portail médiéval, cet herbage dégagé et lumineux repose, sagement parsemé des arbres fruitiers du verger et des taches grenat de quelques noisetiers. C’est là que s’étendent les hortillonnages.
La troisième zone du terrain est constituée par la bâtisse proprement dite. Vue aisément sous les divers angles chamarrés du grand jardin, il lui fallait des formes simples s’harmonisant avec chacun des sites composant le parc. Après réflexion, le choix s’est porté sur un volume traditionnel de type brabançon à un étage : quatre murs surmontés d’un toit classique à deux versants. Le volume intérieur est scindé en trois travées rectangulaires qui s’imbriquent. Leurs plus grands côtés sont disposés perpendiculairement au mur de refend qui scinde symétriquement l’édifice dans toute sa largeur et autour duquel, au tiers, s’enroule une courte cage d’escalier. Le tout s’étale sur deux demi-niveaux qui rachètent le léger dénivelé du terrain.
A l’exception de l’atelier, éclairé avec générosité par une vaste lucarne, la façade, côté rue, est opaque, le bâtiment réservant ses vastes pans vitrés au jardin des Sauvage afin de permettre aux occupants de jouir, à toutes les heures, de la lumière naturelle, des frondaisons du marais et de l’ouverture de la pâture jusque dans l’intimité du foyer.
Extérieurement, La Houssière, dépouillée, présente une façade chaleureuse où le bois de cèdre s’allie avec douceur à la brique. Au niveau du sol, l’espace habité se prolonge sur l’arrière par un jeu bigarré de terrasses bordées de voiles de béton bruts qui leur servent de bastingage symbolique. C’est que, édifiée pas à pas, au gré des idées, La Houssière, chantier perpétuel, a reçu un jour, à deux pas de ses plates-formes, une succession de trois grands bassins qui séparent le marais de la prairie en évoquant la rivière toute proche. Chacune de ces vasques rectangulaires recueille son eau courante de la précédente selon des modes d’écoulement qui alternent les jets et les cascades. Leurs retenues sont couronnées de petits ponts de pierres bleues vers lesquels le flâneur chemine par des cercles de pavés où, en rappel des lignes droites du corps de logis, affleurent de maigres traits de briques rouges en forme de carrés.
En forçant la fréquence des déambulations, cette fragmentation sévère de l’espace suscite une dynamique inévitable qui permet d’apprécier à tout instant les facettes changeantes du cadre de vie paysager composé au sud de la résidence.
L’intégration de l’intérieur et de l’extérieur ainsi obtenue se trouve accentuée avec virtuosité par de sobres références africaines. Hommage à cet ancêtre de Caroline qui fût gouverneur du Katanga ? Goût de Christian pour les formes brutes de l’art africain ? D’où vient cette délicate atmosphère coloniale ? Toutes les pièces sont peintes d’une chaude couleur sable dont les nuances sahariennes se déclinent au gré des caprices de l’ensoleillement et de la luminosité. Entre rose et pêche, elles composent ainsi sans cesse de nouveaux contrepoints aux verts mêlés des feuillages, rappelant en cela volontiers les décors champêtres du film « Out of Africa ». Vient encore appuyer ça et là cette ambiance kenyane, le relief brut de quelques sculptures et masques nègres dont certains – comme cette statue du Zimbabwe – rappellent parfois les forts et fermes contours de La Houssière.
La quête d’ouverture et de dépouillement ainsi adroitement suggérée résonne dans l’ameublement de la maison. Les rares pièces de mobiliers ne sont présentes que pour leur esthétique et leur capacité mélodique. Ramenées elles aussi à l’essentiel, elles font la part belle aux vitrines où, à côté des figures en pierre du Mozambique ou en marbre du Portugal qui lestent les communs, s’exposent sans complexe, au regard des hôtes, des objets chargés d’histoire ou de valeur sentimentale.
Du grand dehors au plus intime, de l’exubérance végétale du marais au plus menu bibelot, du rempart des Pères blancs à la poignée de la porte d’entrée signée Victor Horta, s’établit, par cette voie, un continuum d’une saisissante homogénéité. La Houssière, au fond, est semblable à une poupée gigogne dont les parties s’emboîtent pourvu qu’on les saisisse dans le bon ordre. De cet étrange jouet russe elle possède à coup sûr la désarmante simplicité.
Pour Christian Sauvage, aboutir à cette maîtrise ne fût certes pas, loin s’en faut, un voyage sans péril, ni douleur : en architecture plus qu’ailleurs, peut-être, le plus concis est aussi souvent le plus incommode, sinon le plus insaisissable. Mais La Houssière, qui a reçu en 1999 le prix de l’urbanisme de la Province du Brabant wallon pour son intégration dans son site d’implantation, est la preuve que mener à bien sans faiblesse une sage démarche de renoncement permet souvent d’accéder à terme à la beauté.
Construite sur pieux dans un sol humide fait de surcroît d’une mauvaise terre de remblai qu’auraient appréciée les Cisterciens friands de marnes inhospitalières, La Houssière témoigne aussi que, même dans des conditions difficiles, il est possible d’édifier, avec des moyens qui, sans être négligeables, ne sont pas illimités, des habitations d’une haute qualité esthétique et fonctionnelle sans rien concéder pour autant aux effets de la mode ou à la l’improbable industrie du clef sur porte.